60 ans de guerre contre les drogues : ce qu’il faut changer

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60 ans de guerre contre les drogues : ce qu’il faut changer

4 octobre 2021

Par Marie Nougier (IDPC) pour Dianova International

En matière de politique des drogues, l’année 2021 marque plusieurs anniversaires: les soixante et soixante-dix ans de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 et de la Convention des Nations unies sur les substances psychotropes de 1971 respectivement, et, surtout, les cinquante ans de la « guerre contre la drogue » déclarée par Richard Nixon.

Pour les responsables politiques comme pour les militant·e·s, ces anniversaires sont l’occasion unique de faire le point sur l’état des politiques en matière de drogues dans le monde. Malheureusement, le tableau est plutôt sombre.

Plus tôt cette année, le Consortium International sur les Politiques des Drogues a publié un rapport visant à évaluer les progrès réalisés depuis l’UNGASS 2016 sur les drogues. Le rapport nous a permis d’évaluer les avancées effectuées en matière de droits humains, de santé, de développement, de participation de la société civile, de cohérence du système des Nations unies et, enfin, en matière de suivi et d’évaluation des politiques des drogues.

Des politiques répressives qui alimentent les violations des droits humains

Le rapport met en évidence les violations flagrantes des droits humains auxquelles diverses communautés font face partout dans le monde suite à ces politiques répressives. A l’exemple du Brésil, de la Colombie et des Philippines, entre autres, certains pays misent de nouveau sur une approche de « guerre à la drogue », en dépit de plusieurs années de progrès vers des approches plus humaines. En conséquence, le nombre d’exécutions extrajudiciaires, les taux de violence et ceux de la population carcérale ont littéralement explosé. De tels exemples sont également révélateurs de la fragilité des progrès effectués en faveur de politiques plus humaines en matière de drogues.

Au cours de l’année écoulée, nous avons accordé une attention particulière à la question de la surpopulation carcérale, étant donné que les lois punitives sur les drogues demeurent l’un des premiers vecteurs d’incarcération dans le monde entier – un problème devenu plus crucial encore dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

Surpopulation carcérale et femmes privées de liberté

Selon les Nations Unies, quelque 2,2 millions de personnes dans le monde sont actuellement incarcérées pour des délits liés aux drogues, soit 20 % de la population carcérale mondiale. Autre fait tout aussi préoccupant: les personnes visées par l’action répressive en matière de drogues appartiennent aux communautés les plus pauvres et les plus marginalisées, ainsi qu’aux communautés ethniques. Les femmes sont particulièrement concernées. Parmi les femmes incarcérées, 35% l’ont été suite des infractions liées aux drogues – une proportion qui atteint 50 à 80 % dans divers pays d’Amérique latine et d’Asie.

Un impact dévastateur sur la santé des personnes qui consomment des drogues

La criminalisation des personnes qui utilisent des drogues est aussi un facteur important d’incarcération, avec au moins 470 000 personnes incarcérées dans le monde pour possession simple. La crainte d’être criminalisé, les violences policières, la stigmatisation et la discrimination – ainsi que le manque de financement des services de réduction des risques et de traitement et le manque d’opportunités d’y accéder – ont largement contribué à la forte prévalence du VIH et de l’hépatite C chez les personnes qui s’injectent des drogues ainsi qu’aux décès par surdose. Au cours des seules années 2017 et 2018, l’ONU a enregistré le chiffre révoltant d’un million de décès liés à l’usage de drogues. De tels chiffres sont proprement déchirants, quand on sait que tous ces morts auraient pu être évités par la mise en place de politiques des drogues fondés sur la promotion de la justice sociale, des droits humains et de la santé publique, alliés à une amélioration de l’accès aux services, notamment de distribution de matériels d’injection stérile, de naloxone, ou encore de vérification de la composition des drogues.

Comment améliorer la justice sociale : la décriminalisation

Fort heureusement, un certain nombre de pays ont fait quelques (timides) pas en avant vers des politiques visant à aborder les conséquences du contrôle punitif des drogues et à y remédier. Ces pays ont tenté d’améliorer la vie des personnes qui utilisent des drogues via la suppression des sanctions qui jusqu’à présent punissaient pénalement la possession de drogues à des fins de consommation personnelle.

À ce jour, plus de 50 juridictions dans 31 pays, allant du Portugal à la République tchèque, en passant par l’Uruguay, l’Afrique du Sud et la Jamaïque, ont décriminalisé l’usage et la possession de drogues à des fins personnelles. Cependant, tous les modèles de décriminalisation ne se valent pas et leur impact sur la vie des utilisateurs·trices est très variable. Par exemple, bien que la Russie ait décriminalisé la possession de drogues, au moins techniquement, les personnes concernées continuent d’être la cible des autorités chargées de la lutte contre les drogues et se voient imposer des sanctions administratives sévères ou sont même emprisonnées.

Pourtant, bien conduite, la décriminalisation contribue à faciliter l’accès aux services de santé essentiels, à réduire la stigmatisation et la discrimination, et à mettre fin aux violences policières et au recours excessif à l’incarcération.

Comment améliorer la réponse sanitaire : La réduction des risques

Améliorer l’accès des personnes qui utilisent des drogues aux services de santé est une question essentielle – en particulier dans un contexte de contraintes budgétaires et de surcroît de difficultés sociales et économiques induit par la pandémie de COVID-19, ainsi que les restrictions qui en découlent. Elargir la gamme de services sexospécifiques destinés aux femmes qui consomment drogues est également essentiel – la plupart des services étant encore inadaptés aux besoins et aux réalités de ces femmes. Enfin, il est plus que jamais indispensable d’accroître le financement de la réduction des risques: aujourd’hui, seuls 5 % des besoins de financement de ces services sont satisfaits dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Cela doit changer.

Lutter contre le rétrécissement de l’espace de la société civile

Plus important encore, la participation significative de la société civile et des communautés concernées est essentielle pour parvenir à une approche des politiques en matière de drogues axée sur les droits humains, la justice sociale, l’égalité entre les sexes et la santé. Et pourtant, la montée de l’autoritarisme, du populisme et des restrictions associées au COVID-19 a contribué à restreindre drastiquement l’espace de la société civile à tous les niveaux de gouvernance. L’engagement de la société civile est considéré essentiellement comme un exercice visant simplement à « cocher la case ». A l’inverse, nous devrions être considérés comme autant de partenaires et d’experts irremplaçables devant être consultés à toutes les étapes des processus de prise de décision, de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation dans le domaine des politiques sur les drogues.

Malgré tout, nous avons encore l’espoir que les politiques en matière de drogues puissent réellement contribuer au respect, à la protection et à la promotion des droits humains, et ce partout dans le monde. Pour ce faire, les changements de politiques doivent se produire maintenant. Nous n’attendrons pas 60 ans de plus pour voir cette situation désastreuse évoluer vraiment.