Production, commerce et consommation de produits à base de chanvre ou cannabis. Assurer la sécurité du droit. Rapport du Conseil fédéral suisse

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Production, commerce et consommation de produits à base de chanvre ou cannabis. Assurer la sécurité du droit. Rapport du Conseil fédéral suisse

2 décembre 2023
Conseil fédéral suisse

En acceptant le postulat Minder 21.3280 « Production, commerce et consommation de produits à base de chanvre ou cannabis. Assurer la sécurité du droit », le Conseil national a chargé le Conseil fédéral, en 2021, « d’examiner et de présenter dans un rapport la manière de mieux exploiter sur le plan économique les différentes formes du chanvre (cannabis) et d’assujettir le cannabis à une réglementation moderne et complète […]. ».

La plante de chanvre est utilisée à de multiples fins : d’une part en tant que chanvre industriel (sous forme d’huile et de fibre de chanvre essentiellement), d’autre part à des fins médicales ou récréatives en tant que chanvre à usage stupéfiant pour sa teneur en THC, la substance psychotrope qu’elle contient. Pour chacune de ces applications (chanvre non soumis à la législation sur les stupéfiants, cannabis comme médicament et cannabis comme substance psychoactive), le rapport présente le contexte, les bases légales et les mesures requises. Le tableau 1 récapitule le contenu du rapport.

En résumé, le Conseil fédéral considère comme non judicieuse une réglementation globale du chanvre et du cannabis aux diverses fins mentionnées dans le postulat car une loi d’une telle spécificité engloberait des domaines juridiques déjà réglés dans d’autres lois, que ce soit dans le droit de la sécurité des produits et des produits chimiques (chanvre pauvre en THC destiné à des fins industrielles) ou dans le droit des stupéfiants et des produits thérapeutiques (cannabis à usage médical). En revanche, il reconnaît la nécessité de prendre des mesures concernant le cannabis destiné à des fins récréatives et la volonté de la CSSS-N de réglementer cet usage dans le cadre d’une nouvelle loi spécifique. Cependant, il estime nécessaire de recommander d’en exclure ou d’y différencier les autres usages, non récréatifs, du chanvre. Idéalement, les expériences menées dans le cadre des essais pilotes impliquant du cannabis seront prises en compte.

Produits à base de chanvre non soumis à la législation sur les stupéfiants

Le chanvre et les produits à base de chanvre qui présentent une teneur totale en THC inférieure à 1 % ne sont pas soumis à la législation sur les stupéfiants ni aux contrôles relevant du droit des stupéfiants. Suivant l’usage prévu, les parties de la plante utilisées sont les fibres (textiles, papier, matériaux de construction), les graines (semences alimentaires, huile alimentaire, aliments pour animaux), les fleurs (produits contenant des succédanés de tabac) ou les cannabinoïdes extraits du chanvre (cosmétiques, médicaments). Les produits sont évalués individuellement, toutes leurs caractéristiques telles que la composition, l’utilisation prévue, le dosage, etc. étant prises en compte. La classification d’un produit dans une catégorie donnée détermine la législation à laquelle il est soumis (p. ex. droit des denrées alimentaires, droit des produits chimiques ou droit des produits thérapeutiques) et les autorités en charge du contrôle. Du fait de la multiplicité des usages du chanvre pauvre en THC, la classification des produits se heurte parfois à des questions de délimitation et à des incertitudes dans l’exécution cantonale. Cela s’explique notamment par une pratique intercantonale encore mal établie concernant les nouveaux produits. Cependant, le Conseil fédéral juge non pertinent de réglementer tous les usages du chanvre dans une nouvelle loi spécifique. Dans l’ensemble, les réglementations générales relevant du droit des produits thérapeutiques, du droit des denrées alimentaires, du droit des produits chimiques ou du droit des produits du tabac offrent des bases légales claires, judicieuses et largement suffisantes pour l’utilisation économique des produits à base de chanvre.

La diffusion croissante de produits à base de chanvre pauvre en THC commercialisés à des fins récréatives mais dont la classification légale est parfois mal définie représente un défi pour les autorités d’exécution dans les cantons et les offices fédéraux. Parmi les produits à base de chanvre pauvres en THC destinés à des fins récréatives, ceux à teneur élevée en CBD ne cessent de gagner en importance. Dans la mesure où ces produits sont destinés à être fumés, le droit des produits du tabac s’applique. En revanche, les produits destinés à être ingérés sont actuellement soumis soit au droit des denrées alimentaires, soit au droit des produits thérapeutiques. Or la plupart des produits actuellement proposés ne peuvent pas être commercialisés dans le cadre de ces dispositions parce qu’ils ne répondent pas aux exigences légales requises pour les usages concernés. Afin de répondre aux défis liés à l’utilisation répandue de ces produits, la question se pose de la nécessité de créer une nouvelle catégorie juridique correspondante intitulée « à des fins récréatives » afin de permettre la distribution et la consommation de ces produits. Le rapport présente plusieurs variantes à cet égard. À l’heure actuelle, le Conseil fédéral estime nécessaire, du fait des difficultés de délimitation potentielles par rapport au droit des denrées alimentaires et au droit des produits thérapeutiques et de l’absence de proportionnalité, de renoncer à une législation indépendante spécifique pour cette catégorie de produits restreinte. En revanche, une inclusion des produits à base de chanvre pauvres en THC destinés à être chauffés, reniflés ou ingérés dans le droit des produits du tabac serait envisageable. Le Conseil fédéral examinera cette éventualité dans le cadre de l’élaboration des dispositions d’exécution de la nouvelle loi sur les produits du tabac.

Si une nouvelle réglementation à des fins récréatives était à l’avenir créée pour le cannabis contenant du THC, il serait possible d’examiner, dans ce contexte, l’inclusion de produits à base de chanvre pauvres en THC. L’iv. pa. Siegenthaler 20.473 prévoit une telle réglementation, actuellement en cours d’élaboration par une sous-commission de la CSSS-N. La prise en compte des produits pauvres en THC dans une nouvelle loi sur le cannabis présenterait l’avantage d’uniformiser les prescriptions en matière de sécurité et de qualité des produits à base de chanvre destinés à des fins récréatives, quelle que soit leur teneur en THC.

D’autres simplifications de l’utilisation de chanvre pauvre en THC, que ce soit dans le domaine de l’importation ou de la fabrication, nécessiteraient des adaptations ponctuelles de la législation sur les stupéfiants qui pourraient être examinées à l’occasion d’une révision prochaine de la LStup.

Le cannabis ayant été pendant longtemps interdit dans la législation sur les stupéfiants tant internationale que nationale, il est nécessaire de renforcer la recherche et d’améliorer les données concernant les produits à base de chanvre avant d’en élargir l’usage. Ainsi, il existe un manque d’études fiables attestant de la sécurité des produits à base de chanvre utilisés comme denrées alimentaires ou cosmétiques ou de l’efficacité des cannabinoïdes dans le domaine médical. Des lacunes que des mesures législatives peineraient à combler. La priorité serait d’investir dans la recherche concernant la plante de chanvre et son utilisation. Outre la recherche fondamentale soutenue par l’État, c’est l’industrie engagée dans la recherche qui est visée ici.

Cannabis destiné à des fins médicales (stupéfiant)

Se fondant sur différentes interventions parlementaires demandant une simplification quant à l’utilisation de médicaments à base de cannabis et un accès facilité aux produits, le Conseil fédéral a soumis au Parlement un projet allant dans ce sens en juin 2020, lequel prévoit de lever l’interdiction de l’application médicale de cannabis. Le Parlement a adopté ce projet de loi le 19 mars 2021. La modification est entrée en vigueur le 1er août 2022. Depuis, les médecins peuvent prescrire des médicaments à base de cannabis sans autorisation exceptionnelle de l’OFSP. Les traitements concernés relèvent désormais de leur responsabilité (sous réserve du respect du devoir de diligence médicale). La culture, la transformation, la fabrication et le commerce de cannabis à des fins médicales sont, tout comme d’autres stupéfiants à usage médical (p. ex. la morphine, la méthadone ou la cocaïne), soumis au système d’autorisation et de contrôle de Swissmedic. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, l’exportation commerciale de stupéfiants ayant des effets de type cannabique à des fins médicales est en principe possible, sous réserve de respecter les règles internationales applicables en la matière.

L’évolution future et le besoin de réglementation éventuel concernant les médicaments à base de cannabis se dessineront au cours des années à venir. Une collecte de données est en cours sur les traitements effectués au moyen de médicaments à base de cannabis. Prévue pour sept ans, elle s’appuie sur une obligation de déclaration des médecins prescripteurs et vise à identifier le potentiel d’optimisation résiduel. Un autre aspect de taille concerne l’acquisition de nouvelles connaissances scientifiques et médicales sur l’effet de ces médicaments. Le cas échéant, la collecte peut également permettre de réévaluer le remboursement des médicaments à base de cannabis dispensés d’autorisation qui ne sont pas remboursés par l’AOS, ou le sont dans certains cas seulement, du fait d’un manque de preuves de leur efficacité.

Cannabis destiné à des fins récréatives (stupéfiant)

Le cannabis destiné à des fins récréatives reste interdit en Suisse et sa consommation par des adultes est généralement punie d’une amende pouvant atteindre 300 francs. Depuis 2021 et jusqu’en 2031, il est possible de mener des essais pilotes scientifiques impliquant du cannabis limités dans le temps et dans l’espace, visant à étudier les conséquences d’une vente légale de cannabis à des fins récréatives dans différents modèles (pharmacies, cannabis social clubs, organisations à but non lucratif, magasins à but lucratif, notamment).

En 2021, les commissions compétentes des deux conseils ont donné suite à l’initiative parlementaire Siegenthaler 20.473 « Réguler le marché du cannabis pour mieux protéger la jeunesse et les consommateurs ». Celle-ci a pour but la création d’un marché légal du cannabis et la mise en place d’une réglementation globale de la culture, de la production, du commerce et de la consommation de cannabis contenant du THC. Aux fins de mise en œuvre de cette initiative, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a fait appel à une sous-commission qui travaille actuellement à l’élaboration d’un projet d’acte législatif correspondant.

Dans le rapport en réponse au postulat Rechsteiner Paul 17.4076 « Avenir de la politique suisse en matière de drogue », le Conseil fédéral a déjà dressé un état des lieux des évolutions et des mesures à prendre dans le domaine de la réglementation du cannabis. Il s’est prononcé en faveur d’une nouvelle réglementation du cannabis destiné à des fins non médicales fondée sur des faits probants et axée sur la santé publique. Il a donc proposé une procédure progressive prévoyant, dans une première phase, l’évaluation des résultats découlant des essais pilotes impliquant du cannabis et des expériences internationales. Avec l’acceptation et la mise en œuvre de l’initiative parlementaire Siegenthaler 20.473 par la CSSS-N, la balle est dans le camp du Parlement concernant la nouvelle réglementation du cannabis destiné à des fins récréatives. Les appréciations qui figurent dans le rapport s’entendent comme un cadre de référence pour ce travail législatif, sans préjuger des travaux parlementaires correspondants.

Du point de vue de la santé publique, l’adoption d’une nouvelle réglementation du cannabis destiné à des fins non médicales constitue une occasion unique de faire reculer les effets indésirables de l’interdiction du cannabis pour les consommateurs et la société, d’une part, et de mettre à profit les atouts sociaux, sanitaires et économiques d’une légalisation du cannabis, d’autre part. La nouvelle réglementation doit tenir compte des expériences nationales et internationales et des connaissances scientifiques découlant de la réglementation du cannabis (en particulier des essais pilotes), mais aussi d’autres substances addictives tels que l’alcool et le tabac.

Une légalisation du cannabis destiné à des fins récréatives peut aller plus ou moins loin : dans différents États européens tels que Malte ou l’Allemagne, l’interdiction de la consommation et de la possession de cannabis ainsi que l’auto-approvisionnement doit être levée. Ces pays doivent également autoriser l’existence de cannabis social clubs, dans lesquels le cannabis est produit de manière communautaire pour les besoins propres. En revanche, dans divers États américains et au Canada, la production professionnelle et la vente ont elles aussi été légalisées.

La variante plus large qui s’étend à la légalisation de la vente est beaucoup plus susceptible de mettre fin au marché noir existant. Cependant, les risques de dérives, tels qu’une augmentation importante de la consommation au sein de la population, sont aussi nettement supérieurs. En cas de levée totale de l’interdiction de mise dans le commerce du cannabis à des fins récréatives, il faudrait prévoir, aux fins de mise en œuvre des dispositions légales, un système de contrôle efficace pour la production et la vente.

Du point de vue de la santé publique, une réglementation libérale d’un marché du cannabis légal assorti d’une vente à but lucratif recèle les plus grands risques. Dans ce contexte, le rapport recommande, en cas de nouvelle réglementation du cannabis destiné à des fins récréatives, de veiller à ce que le cannabis, en tant que produit légal, ne soit ni promu, ni commercialisé. Cela implique notamment un renforcement de la protection de la jeunesse, une interdiction totale de la publicité et des mesures de régulation des prix. La Commission fédérale pour les questions liées à l’addiction et pour la prévention des maladies non transmissibles propose que l’accès au cannabis s’effectue exclusivement via des modèles de vente à but non lucratif. Le rapport présente différentes approches à cet effet.

Des mesures centrales découlent de l’expérience tirée de la réglementation de l’alcool et du tabac : aux fins de protection de la jeunesse, les produits à base de cannabis ne doivent en principe être vendus qu’aux personnes âgées de plus de 18 ans. Parmi les mesures de prévention structurelle ayant fait leurs preuves, on peut citer des taxes ou des impôts d’incitation élevés sur les produits à base de cannabis (suivant la teneur en THC et le risque pour la santé des produits) et/ou la fixation de prix minimaux, une interdiction totale de la publicité et de la promotion, des restrictions de la disponibilité (heures d’ouverture, densité des points de vente) et des avertissements sur les emballages des produits. Aux fins de protection des tiers, fumer ou vaporiser du cannabis dans un lieu accessible au public devrait être soumis au minimum aux mêmes dispositions que celles protégeant contre le tabagisme passif dans le domaine du tabac. De même, dans le domaine de la sécurité routière, il y a lieu de maintenir des mesures strictes de lutte contre la conduite sous l’influence du THC. Du point de vue de la protection des consommateurs, il est important de garantir la sécurité des produits via la mise en œuvre d’exigences strictes en matière de qualité de production et de fabrication et de définir des obligations de déclaration des ingrédients.

Afin d’identifier à temps les évolutions problématiques d’une nouvelle réglementation globale du cannabis destiné à des fins récréatives, il y a lieu d’effectuer un suivi des principaux indicateurs à cet égard dans le domaine de la santé et de la sécurité publiques. En outre, la nouvelle réglementation devrait faire l’objet d’évaluations scientifiques régulières au cours des premières années.

En conclusion, il est recommandé de commencer par une réglementation stricte dont les risques potentiels sont mesurés et pouvant être élargie et assouplie ultérieurement le cas échéant (p. ex. nouveaux produits ou réglementation plus libérale du marché). Pour éviter tout excès de rigidité, il serait envisageable de limiter la réglementation légale aux principes clés et de déléguer certains aspects tels que les normes de sécurité des produits, qui peuvent être amenés à évoluer rapidement.